Étude de la teneur en CO au sein d’une habitation classique
27 janvier 2021Written by Marco Autiero, ENSE3 groupe Grenoble INP, marco.autiero@grenoble-inp.org
RESUME
Dans le cadre de cette dernière période, les personnes ont été amenées à rester longtemps confinées chez elles. Il est dès lors d’autant plus important de s’assurer que le domicile soit un endroit sain. Cet article présente une étude de la qualité de l’air d’une maison familiale classique qui a accepté de doter son domicile de nombreux capteurs (projet EXPE-Smarthouse) dont les données sont accessibles en open-source. Il sera question d’étudier la variation du taux de CO2 au cours de la journée.
MOTS-CLES : qualité de l’air, smart house, santé
ABSTRACT
During the last months, people were locked down at home for a long time. Therefore it is even more important to make sure that the home is a healthy place. This article is about air quality in a standard house that accepted to be equipped with sensors (EXPE-Smarthouse project) whose measurements are accessible in open source. The evolution of the CO2 concentration will be studied along the day.
KEYWORDS : air quality, smart house, health
Introduction
Le taux de CO2 dans l’air n’a cessé d’augmenter depuis la révolution industrielle. Il atteint aujourd’hui 415 ppm [1]. A part l’effet de serre et donc le dérèglement climatique qu’il engendre le CO2 est considéré comme globalement inoffensif pour la santé. Cependant en espace confiné le taux de CO2 peut atteindre des valeurs sensiblement plus élevées qu’à l’air libre qui peuvent être dangereuses même pour la santé. L’agence fédérale américaine chargée de la sécurité et la santé au travail (NIOSH) considère qu’un taux de 1000 ppm de CO2 est synonyme d’une mauvaise aération et commence à être néfaste. Les effets d’un taux trop élevé sont multiples : céphalées, difficultés de prise de décision, sensibilité émotionnelle accrue et baisse de la concentration [2] . Une concentration trop élevée peut aussi représenter un facteur de risque pour l’asthme. En particulier l’étude du laboratoire Berkeley Lab [3] montre que déjà à partir d’un taux de 1000 ppm les effets sur le corps humain sont visibles.
fig 1.1 tableau représentant l’impact du CO2 sur le cerveau humain.
Dès lors on peut se demander, surtout suite aux périodes prolongées de confinement, comment évolue la teneur en CO2 au cours de la journée dans un espace clos et si les limites sanitaires peuvent être dépassées.
Plateforme expérimentale
Pour recueillir les données de CO2 on utilise le projet EXPE-smarthouse. Commencé en 2018 il consiste en une maison de 120 m² réellement habitée comprenant plus de 300 capteurs différents, permettant de collecter les données de plusieurs grandeurs physiques [4]. Ces données sont ensuite en libre accès sur le service Grafana et disponible pour plusieurs laboratoires. Pour notre étude, on va s’intéresser aux capteurs de CO2 de type Netatmo [5], aux thermomètres et aux capteurs d’ouvertures des fenêtres. Les données sont recueillies du 29/12/2020 au 05/01/2021.
Protocole expérimental
On récupère les données voulues sur la plateforme Grafana sous format csv pour les importer ensuite dans un notebook Python tel que Kaggle. Les données sont sous forme de tableau avec une colonne d’index temporel et plusieurs colonnes correspondant aux données mesurées par le capteur de chaque pièce. On utilise la bibliothèque Pandas pour traiter ce format de données. On constate que des mesures sont manquantes pour certains index temporels. On utilise la fonction de Pandas fillna() pour attribuer une valeur là où la mesure est absente. On choisit la méthode de fillna() ‘backfill’ qui correspond à utiliser la valeur juste après l’index de celle manquante. Une fois après avoir obtenu une mesure pour chaque index on convertit les valeurs temporelles en un format datetime qui soit interprétable par Python.
Modèle théorique
D’après [7] la production moyenne de CO2 pour un individu au repos (85W) est de 16 L/heure. La production de CO2 est donc de 16E6/V ppm par heure et par personne où V désigne le volume de la pièce en L.
Dans une chambre parfaitement isolée, le taux de CO2 devrait augmenter linéairement et atteindre au bout d’un certain temps des valeurs suffisantes pour provoquer l’asphyxie de ses occupants. En réalité l’isolation n’est jamais totale et il existe toujours un volume d’air échangé avec l’extérieur qu’on va appeler R (L/h).
Le taux de CO2 dans la chambre va alors tendre vers une valeur d’équilibre (comme on peut constater dans la figure 4.1) où la production de CO2 par ses occupants va être égale à la quantité de CO2 échangée avec l’air extérieur. Le taux d’évacuation du CO2 va être égal au volume d’air échangé avec l’extérieur R normalisé par le volume de la pièce V et multiplié par la différence de taux de CO2 entre l’intérieur C et l’extérieur de la chambre E.
On détermine alors simplement le taux de CO2 maximal atteint en fonction du volume de la chambre, de l’aération et de la production de CO2.
Figure 4.1 : Exemple de calcul de l’évolution du taux de CO2 pour différentes conditions d’aération (L/s) dans une chambre de 21m³ pour une durée de 8h (figure extraite du document [6])
Pour cet article un outil de simulation numérique décrivant, par des pas de temps discrétisés, l’évolution temporelle du taux de CO2 dans une chambre a été mis en place (fig 4.2). L’objectif étant d’essayer de reproduire les mesures réelles de la plateforme EXPE-Smarthouse.
fig 4.2 : simulation de l’évolution du taux de CO2 dans une chambre de 50m³ et une aération de 5L/s pour une valeur initiale de 1000 ppm.
Analyse des résultats
On trace les taux de CO2 pour la chambre 2 et 3, le deuxième étage et le salon :
On retrouve un profil de courbe compatible avec le modèle théorique.
fig 5.1 représentation des taux de CO2 du 01/01 au 05/01
On constate que tous les capteurs enregistrent plus ou moins longtemps des taux supérieurs à la valeur maximale conseillée. En particulier la chambre 3 atteint 150% de la valeur normale et la chambre 2 atteint plus de 2000 ppm. La deuxième observation est que le taux de CO2 est périodique et subit de brusque variation à la baisse environ 1 fois par jour. De plus, pendant certaines heures du jour l’évolution du taux de CO2 est inversement corrélé entre les 2 chambres et les deux autres pièces. Cette observation est due au déplacement des personnes entre les pièces. Enfin le taux de CO2 augmente plus rapidement dans la chambre 3 que la chambre 2.
1) Phase ascendante
On considère la période de 24h (‘2021-01-01 12:00:00’ à ‘2021-01-02 12:00:00’).
fig 5.2 étude des taux de CO2 centrée sur la période nocturne
A 20h le taux de CO2 dans la chambre 3 est égal à celui dans la chambre 2 et vaut 1100 ppm. Ensuite en 11h il va passer à 2100 ppm pour la chambre 2 et 1500 ppm pour la chambre 3. On définit les vitesses moyennes de variation sur la période nocturne :
vitesse_chambre2 ~ 86,5 ppm/h
vitesse_chambre3 ~ 32 ppm/h
En considérant les horaires, on peut supposer que les personnes sont entrain de dormir pendant cet intervalle de temps. La différence de la vitesse de variation des taux de CO2 peut avoir plusieurs explication :
- Les deux pièces ont un volume et des conditions comparables mais il y a plus de personnes dormant dans la chambre 2.
- Le volume de la pièce 2 est plus grand mais le nombre de personnes dormant dans les 2 pièces et l’aération sont comparables.
- L’aération des pièces est différente
- Un ensemble des trois explications précédentes.
Afin de déterminer l’explication exacte il suffirait de connaître deux de ces 3 paramètres. Ce graphique permet cependant de se rendre compte que les taux de CO2 potentiellement néfastes sont atteint pendant le sommeil des personnes. En effet les personnes restent immobiles dans une même pièce il y a donc accumulation du CO2 produit par la respiration. On calcule la vitesse d’évolution du taux de 20:00 à 07:00 pour les 2 chambres et plusieurs nuits. On constate des variation importantes :
01-02 | 02-03 | 03-04 | 04-05 | |
chambre 2 | 86,5 ppm/h | 106 ppm/h | 112,6 ppm/h | 108,2 ppm/h |
chambre 3 | 33,5 ppm/h | 51,3 ppm/h | 63,5 ppm/h | 37,8 ppm/h |
rapport | 2,58 | 2,06 | 1,77 | 2,86 |
La mesure des variations du taux de CO2 est très complexe du fait des multiples paramètres non pris en compte qui peuvent affecter l’émission de CO2 de chaque personne (métabolisme, heure du couché, alimentation[7]). De plus l’incertitude systématique sur la mesure de CO2 est de 50 ppm selon le constructeur [5]
2) Phase descendante
A partir d’environ 7h du matin le taux de CO2 chute drastiquement pour les 2 chambres pour revenir à environ 450 ppm. Cette baisse est sûrement due aux personnes qui se réveillent et quittent la pièce. Cependant si on regarde l’évolution du taux de CO2 pendant la nuit dans le salon (on considère que personne est présent la nuit dans le salon) sur plusieurs jour on obtient le tableau suivant:
01-02 | 02-03 | 03-04 | 04-05 | |
Salon | -71 ppm/h | -53 ppm/h | -44 ppm/h | -34 ppm/h |
Le taux de CO2 est minoré par 450 ppm. La vitesse moyenne calculée varie donc à cause du taux de CO2 en fin de soirée qui est différent chaque jour.
On considère la journée du 04/01. Le matin on constate qu’à partir de 7h30 le taux de CO2 en chambre 2 est divisé par 2 en moins de 10 minutes, cette variation est beaucoup plus rapide que celles enregistrées la nuit dans le salon. On en déduit que les chambres sont aérées. Effectivement si on regarde les capteurs de température et d’ouverture de fenêtre en chambre 2 on voit que la fenêtre est ouverte à 7h29 pour une durée de 12 minutes.
fig 5.3 variation du taux de CO2 en fonction de l’état de la fenêtre et de la température de la chambre 2 de 7h à 8h
Dès la fermeture de la fenêtre un peu après 7h40 le taux de CO2 diminue plus lentement et va atteindre une valeur normale de 450 ppm après une heure.
fig 5.4 variation du taux de CO2 en fonction de l’état de la fenêtre et de la température de la chambre 2 de 7h à 10h.
Ces résultats montrent l’importance d’aérer les chambres pour réduire la teneur de CO2 dans l’air. De plus, on constate que l’air intérieur met très peu de temps suite à l’ouverture de la fenêtre pour revenir à des valeurs de dioxyde de carbone normale.
Les données et le code utilisées pour cette étude sont disponibles dans le fichier smart-house.ipynb.
Conclusion
La plateforme expérimentale EXPE-Smarthouse a permis grâce à ses relevés de concentration de CO2 de déterminer qu’une valeur dangereuse de CO2 est atteinte pendant la nuit dans les chambres. Néanmoins, ouvrir les fenêtres quelques minutes avant de se coucher permettrait de garder des taux de CO2 plus faibles. Le taux de CO2 est aussi très dépendant de l’occupation d’une pièce et diminue naturellement quand il n’y a aucun occupant pour en produire. Pour aller plus loin dans cette étude on pourrait munir la plateforme expérimentale de capteur de particules fines. En effet, elles représentent une plus grande menace que la teneur en CO2 et il serait intéressant de connaître comment leur taux évolue au sein d’une maison.
BIBLIOGRAPHIE
1. Arnaud Sacleux “Le niveau de CO2 dans l’atmosphère bat un record vieux de 3 millions d’années” https://www.nationalgeographic.fr/environment/2019/04/le-niveau-de-co2-dans-latmosphere-bat-un-record-vieux-de-3-millions-dannees
2. NASA technical report
3. Julie Chao october 17, 2012
“Elevated Indoor Carbon Dioxide Impairs Decision-Making Performance”
4. site officiel du projet EXPE-smarthouse
http://expe-smarthouse.duckdns.org/?page_id=7&lang=en
5. capteur Netatmo
https://www.netatmo.com/fr-fr/weather/weatherstation/specifications
6. P. Batog, M. Badura, Dynamic of Changes in Carbon Dioxide Concentration in Bedrooms, 11th International Conference on Modern Building Materials, Structures and Techniques, MBMST 2013, Procedia Engineering 57 ( 2013 ) 175 – 182
7. CO2 émis en fonction de l’alimentation
http://hyperphysics.phy-astr.gsu.edu/hbase/Biology/metab.html